Bien des élites intellectuelles et politiques parlent comme s'ils savaient, la culture, quand ils en ont, en garante de leur infaillibilité. La perspective des courants et des idées, mis dans l'ordre de marche de leur propre discours, est souvent un outil puissant au service de leur interprétation égoïste du monde, au lieu de se présenter comme un levier offert au plus grand nombre pour élargir les perceptions communes du monde.
Peut-être la question est-elle de savoir ce que l'on peut mettre en commun, et ce que l'on peut, ou l'on doit, garder pour soi. À l'intersection du commun et du privatif, pour tout individu comme pour toute société, se trouve l'articulation sur laquelle poser la pierre du vivre en commun. Sur ce fragile édifice, naît l'attention à l'autre, sa considération.
Mais comme pour l'anarchie, ce qu'il faut appeler le respect repose sur la responsabilité individuelle, la plus universelle des utopies sociales. Et donc le gouvernant, démocrate ou dictateur, est persuadé qu'il porte la parole au nom de tous les administrés, à qui il ne demande pourtant plus guère ou plus du tout leur avis. Comment peut-il dire "je"? Comment ose-t-il dire "je"? C'est bien parce qu'il en est ainsi, en raison d'abord de notre lâcheté, sur laquelle comptent les élites, que les amarres se rompent et que les braises des conflits et des guerres, domestiques et étrangères, sont attisées. Le nous, subitement, a disparu.